Holthof Julie. ONCFS Délégation Régionale Poitou-Charentes Limousin, décembre 2006.
Aujourd’hui, la prise de conscience de l’érosion de la biodiversité est un problème majeur. Cette érosion est essentiellement due à la dégradation et la fragmentation des habitats.
La nature et la qualité des habitats sont des éléments essentiels pour le maintien et le développement de nombreuses espèces animales et végétales. Le bocage, dans l’ouest de la France, est un des milieux les plus riches pour la faune et la flore mais il a été également très touché par le remembrement dans les années 70. Pourtant, ces éléments de liaisons sont des réservoirs importants de biodiversité et constituent de véritables corridors écologiques. Ces dernières décennies les techniques culturales modernes, les traitements chimiques dans un but de production intensive ont rendu ces zones de plus en plus incompatibles avec la vie sauvage par une uniformisation des paysages.
Les ectothermes sont reconnus comme étant des bons indicateurs de la qualité des écosystèmes, par exemple les amphibiens et les poissons pour la qualité des milieux aquatiques. Les reptiles, sont des organismes mal aimés et victimes de croyances. Du fait de ce caractère non emblématique, ils ne sont que très rarement pris en compte. Pourtant, ils sont de bons indicateurs de la qualité de l’écosystème terrestre, notamment des zones de contacts et de lisière comme nous allons l’exposer ci dessous.
Contrairement aux endothermes, les ectothermes terrestres tels que les reptiles ne produisent pas de chaleur et leur température corporelle varie selon les conditions thermiques environnementales. Leur physiologie (reproduction, digestion) et leur écologie (déplacements) vont donc directement dépendre de la température environnementale. Ils peuvent thermoréguler de façon comportementale, en s’exposant plus ou moins aux radiations solaires. Ils sont notamment plus thermophiles pendant des phases clés de leur cycle de vie, à la sortie d’hivernage, lors de la reproduction, la mue, la digestion.
Les reptiles squamates sont des prédateurs. Ils ont donc un rôle intégrateur dans la chaîne trophique. Les lézards se nourrissent essentiellement d’insectes alors que les serpents sont carnivores et se nourrissent de petits vertébrés, tels que micrommamifères, lézards et oiseaux. Les reptiles présentent de faibles besoins énergétiques et l’essentiel de l’énergie assimilée peut être transformée en biomasse. A l’échelle démographique, les capacités d’accueil des populations de reptiles sont généralement plus élevées que celle des endothermes. Ce sont souvent les prédateurs les plus abondants (numérique et souvent de biomasse) sur une zone donnée. Par exemple, plusieurs dizaines de vipères (Lourdais et al, 2002) et entre 400 et 500 lézards par hectare peuvent être observés (Mou, 1987). La dynamique de leurs populations dépend largement de celle de leurs proies. Par exemple, dans l’ouest de la France, on observe une influence directe des variations de populations de campagnols sur celles de la Vipère Aspic (Lourdais et al, 2002).
En comparaison avec les endothermes (oiseaux, mammifères) les reptiles se déplacent peu et ont des capacités de dispersion limitées et des domaines vitaux généralement réduits. Ils sont donc directement dépendant des conditions locales. Par exemple, le domaine vital du lézard des murailles est compris entre 15 et 20 m² (Strijbosch et al, 1980). Les reptiles sont donc très sensibles aux caractéristiques du milieu (facteurs biotiques et abiotiques) et ont un fort potentiel bio indicateur à l’échelle des écosystèmes.
Les reptiles ont des besoins spécifiques et doivent rechercher un compromis entre les besoins pour la thermorégulation, la chasse et les abris. Ils vont donc être dépendants de la structure de végétation et de la présence de microhabitats variés, présentant des zones de végétation denses pour s’abriter et des zones ensoleillées à proximité immédiate du couvert végétal pour réguler leur température et des proies en nombre suffisant. Les zones de bordure, tels que les lisières, les haies, les bords de chemins, les voies ferrées correspondent exactement à ces besoins spécifiques et bivalents (abri et exposition). A l’échelle de l’écosystème, l’écotone (frontière séparant deux milieux de types différents) constitue donc une composante essentielle de l’habitat des reptiles en offrant une nourriture importante, un large spectre de conditions microclimatiques et des zones refuges.
Les reptiles présents dans le milieu bocager sont nombreux. En général, les espèces les plus thermophiles, sont le lézard des murailles (Podarcis muralis), le lézard vert (Lacerta bilineata), le lézard vivipare (Zootoca vivipara) la vipère péliade (Vipera berus) (au nord de la Loire) ou la vipère aspic (Vipera aspis) (au sud de la Loire), sont les plus faciles à observer. Mais d’autres plus discrets comme la couleuvre d’esculape (Elaphe longissima), la couleuvre verte et jaune (Hierophis viridiflavus), et l’orvet (Anguis fragilis) peuvent être révélés dans ce type de milieu par des méthodes appropriées telles que la pose de plaques (Naulleau et al, 2000). Par exemple, sur 100 m de haies une quinzaine de lézards verts, une dizaine de couleuvres à colliers et une trentaine de vipères peuvent être présents. La densité des reptiles est proportionnelle à la longueur et la qualité des haies et des lisières boisées (Saint Girons et Duguy, 1977).
Une étude réalisée par Saint Girons montre également le nombre important de vipères présentes près de lisières, de talus et de haies (Figure 1).
Les reptiles sont étroitement associés aux zones de lisières. En forêt de Chizé, l’équipe du CNRS capture plusieurs centaine de serpents chaque année aux abords des lisières forestières. De plus la structure des lisières semble plus importante pour les reptiles que leur nature (Blouin-Demers et al, 2001). Les voies ferrées sont également très fréquentées par les reptiles et jouent un rôle sur le maintien de leurs peuplements (Graitson et Jacob, 2001). Dans certaines zones fortement remembrées elles constituent les uniques zones refuges.
Deux grands types de modifications paysagères ont des répercussions sur les reptiles : la dégradation du bocage et la fermeture du milieu. Des études concernant l’impact des perturbations du milieu sur les reptiles ont été réalisées. En Loire Atlantique entre les années 60 et 70 une étude a montré qu’après le remembrement, les domaines vitaux de vipères suivis sont devenus inexistants (Naulleau, 2002). Ce même auteur évoque également l’impact des plantations d’arbres et d’un bouleversement du terrain sur une parcelle comprenant des îlots de végétation, de ronciers de broussailles et de chemins. L’année précédant cette perturbation 41 vipères sont observées sur moins de 1ha, alors que 8 ans après seulement 10 vipères sont contactées dont 9 sur les bordures extérieures de la parcelle (Naulleau, 2002). Ce déclin montre l’impact que peut avoir la fermeture du milieu. Enfin, une étude montrant les conséquences de l’impact de la modification d’un milieu bocager sur une population de vipères péliades, a été réalisée en Loire Atlantique sur la commune de Bouvron, de 1998 à 2003 sur 100 ha.
Dès l’hiver 1999-2000, des haies de 6m de largeur ont été réduites à 1m, ou même complètement rasées, afin de laisser la place à plusieurs hectares de champs de céréales. Une chute rapide des effectifs de vipères d’année en année est observée : (voir figure 2). Dans ce cas précis, les haies constituent les seules chances de survie sur le long terme de cette vipère dans ce genre de biotope bocager (Guiller Gaétan et Legentilhomme Jérôme).
Par ailleurs, la fragmentation du paysage a aussi des impacts négatifs sur les reptiles et notamment avec une importante mortalité routière (Bonnet et al., 1999).
Ces différents exemples montrent l’importance que peut avoir la qualité et la structuration des habitats sur la présence des reptiles ainsi que leur sensibilité aux perturbations des milieux.
Différentes préconisations de gestion sont envisageables afin de protéger les reptiles.
Tout d’abord, il est important de changer l’image négative des reptiles et de les intégrer dans la réflexion paysagère et la gestion de la biodiversité. Ensuite, le milieu bocager doit être restaurer en plantant de nouvelles haies et les haies existantes doivent être entretenues. Il est important de les éclaircir partiellement, afin d’éviter l’embroussaillement, en laissant quelques branches mortes et des souches qui jouent le rôle de zone d’exposition et d’abris. Afin de répondre aux différents besoins des reptiles, la structure de la haie doit être complexe (composée d’une strate arborée, d’un ourlet arbustif et d’une strate herbacée entretenue en bordure de parcelle).
Des aménagements simples pour les reptiles sont également envisageables tels que la présence de petites structures tels que des murets de pierres sèches. Des zones refuges en connexion avec les haies peuvent être crées par exemple dans les angles de parcelles. Ces refuges pouvant servir de zones d’hivernage et de reproduction peuvent être composées de tas de bois, de foin, de vieilles souches ou de débris végétaux. Un aménagement de plusieurs tas, tous les 10 à 25 m, bien structurés afin d’éviter que toutes les femelles pondent au même endroit et éviter qu’elles soient toutes détruites est conseillé (Hofer et al, 2001). Concernant les bandes enherbées, il est conseillé de ne pas faucher pendant la période d’activité des reptiles (de mars à octobre) sinon, faucher lentement du centre vers la périphérie pour permettre à la faune de fuir sur les côtés en évitant d’utiliser un rotovateur qui peut tuer les reptiles dans leurs abris (Naulleau et Lourdais, comm.pers.)
La conservation des reptiles passe par la préservation d’un paysage cohérent et d’une mosaïque d’habitats comprenant des écotones telles que les haies, les lisières, les bandes enherbées, les voies de chemins de fer et les bords de chemins. De plus, ces zones de bordure sont de véritables corridors écologiques permettant aux reptiles de se disperser et de coloniser de nouveaux milieux d’accueil tout en se déplaçant à couvert.
Les besoins spécifiques des reptiles font d’eux d’excellents indicateurs de la qualité du maillage bocager qui est d’une grande importance pour la faune et la flore. La conservation des reptiles a donc des implications directes dans la conservation de la biodiversité des paysages agricoles.
Blouin-Demers, G. et Weatherhead, P.J. 2001. Habitat use by Black Rat Snakes (Elaphe obsoleta obsoleta) in fragmented forest. Ecology, 82 (10) : 2882-2896.
Bonnet, X., Naulleau, G. et Shine, R. 1999. The dangers of leaving home : dispersal and mortality in snakes. Biological Conservation, 89 : 39-50.
Graitson, E. et Jacob, J.P. 2001. La restauration du maillage écologique : une nécessité pour assurer la conservation de l’herpétofaune en Wallonie. Natura Mosana, 54 : 21-36.
Guiller, G. et Legentilhomme, J. 2006. Impact des pratiques agricoles sur une population de Vipera berus (Linnaeus 1758) (Ophidia, Viperidae) en Loire atlantique. Bull. Soc. Sc. Nat. Ouest de la France, nouvelle série, tome 28 (2).
Hofer, U., Monney, J.C.et Dusej, G. 2001. Les reptiles de Suisse : répartition/ habitats/ protection.
Lourdais, O., Bonnet, X., DeNardo, D. et Naulleau, G. 2002. Does sex differences in reproductive eco-physiology into dimorphic demographic patterns ? Population Ecology, 44 : 241-249.
Lourdais, O., Bonnet, X., Shine, R. , DeNardo, D., Naulleau, G. & Guillon, M. (2002). Capital-breeding and reproductive effort in a variable environment : a longitudinal study of a viviparous snake. Journal of Animal Ecology, 71 : 470-479 and cover.
Mou, Y.P. 1987. Thèse de doctorat : Ecologie comparée de deux populations de lézards des murailles, Podarcis muralis, Laurenti, 1768), en France.
Naulleau, G., Bonnet, X., Lucchini, D., Lourdais, O. et Thiburce, C. 2000. Rôle de la pose de plaques sur le sol dans l’inventaire herpétologique. Communication au 28ème Congrès de la Société Herpétologique de France, Limoges.
Naulleau, G. 2002. Bocage et dynamique des populations de Reptiles. Journée d’Etudes Européennes sur les Bocages. 16 et 17 octobre 2002, ONCFS : 29-36.
Saint Girons, H. 1975.Coexistence de Vipera aspis et de Vipera berus en Loire Atlantique : un problème de compétition interspécifique. Extrait de la Terre et la Vie, Revue d’Ecologie Appliquée, 29 : 590-613.
Saint Girons, H. et Duguy, R. 1977. Les reptiles du bocage. In : Ecosystèmes bocagers- Colloque CNRS, Rennes, 1976 : 347-349.
Strijbosch, H. Bonnemayer, J.J.A.M. et Dietvorst, P.J.M. 1980. The Northernmost Population of Podarcis muralis (Lacertilia, Lacertidae). Amphibia-Reptilia, 1, 161-172.