Par Alexandre Boissinot
Les activités humaines ont des répercutions considérables sur la perte de biodiversité au niveau mondial. Le début de l’agriculture au Proche-Orient, il y a 10 000 ans, à l’origine de la transformation des terres, l’accroissement démographique qu’a connue notre espèce depuis le Néolithique et la révolution industrielle il y a 100 ans font que l’homme occupe à ce jour toutes les niches écologiques. Les rapports qu’il occupe avec le reste de la biosphère ont radicalement changé au cours de ces deux derniers siècles. Il a notamment été suggéré d’appeler anthropocène cette nouvelle époque marquée par l’impact soutenu des sociétés humaines sur la biodiversité de la planète. La capacité de réponse des milieux et des autres espèces est donc mise à rude épreuve. Actuellement on estime que le taux d’extinction des espèces est de 100 à 1 000 fois supérieur à ce qu’il serait naturellement.
Ces conséquences sont particulièrement graves et intenses sur les amphibiens et nous amènent à parler de déclin. L’observation du déclin des amphibiens par la communauté scientifique débute dans les années 70 suite à la disparition de plusieurs populations d’amphibiens dans l’ouest des Etats-Unis, à Porto Rico et dans le nord-est de l’Australie. En Europe, les causes principales de régression des populations d’amphibiens sont essentiellement liées à la destruction et/ou la fragmentation des habitats.
La dualité du cycle de vie de nombreuses espèces d’amphibiens européens leur impose de disposer de plusieurs milieux. On peut dénombrer quatre types de milieux nécessaires à l’accomplissement du cycle de vie annuel, que sont : le site d’hivernage ou quartier d’hiver, le site de reproduction ou frayère, le terrain de chasse et le site d’estivation ou quartier d’été. Une même unité spatiale fournit rarement l’ensemble des conditions nécessaires à l’accomplissement d’un cycle. Les amphibiens ont donc développé des comportements migratoires plus ou moins marqués, selon les espèces, pour répondre à leurs besoins vitaux. On peut alors distinguer plusieurs formes de migrations ou de déplacements :
liés à la reproduction (pré-nuptiale et post-nuptiale),
associés à la métamorphose (post-larvaire),
mouvements restreints à un territoire,
mouvements vers des sites d’hivernage.
A cela, il faut distinguer et ajouter les mouvements de dispersion des jeunes et des adultes dans une optique de colonisation de nouveaux habitats. Ces mouvements contribuent à la dynamique de fonctionnement en métapopulation qui vise à contrebalancer les extinctions locales par des recrutements issus d’immigration. Deux facteurs principaux contrôlent la dynamique de métapopulation des amphibiens. Le premier est le nombre d’individus qui dispersent dans une population. Le second facteur est la densité et la distribution des biotopes de reproduction dans le paysage qui va déterminer la distance de dispersion et la probabilité d’atteindre ces biotopes avec succès.
La structure du paysage joue un rôle prépondérant dans cette dynamique et sur la connectivité des éléments. Cette connectivité dépend à la fois de la composition et de la configuration du paysage, notamment de la matrice, des tâches et des corridors qui le composent. Les routes sont connues pour être des barrières physiques aux mouvements des amphibiens tout comme certains types d’assolement, telles que les cultures céréalières et les zones urbanisées. Cependant, il reste difficile de poser une limite entre une barrière totalement infranchissable et un obstacle pouvant être surmonté en certaines occasions.
Les amphibiens ont des domaines vitaux relativement restreints en comparaison avec d’autres groupes fauniques (mammifères et oiseaux). Ceci est en partie dû à leurs capacités de déplacement limitées. Leur morphologie ne se prête pas à des déplacements conséquents. La locomotion des Salamandridae est particulièrement réduite en raison de la longueur et de la disposition transversale de leurs membres. Globalement, les amphibiens sont capables de migrations de quelques kilomètres, mais leurs déplacements sont généralement inférieurs à 400 m. Les dispersions de jeunes individus sont le plus souvent à l’origine des grands déplacements observés chez ce groupe.
Les phases de migration incluent des mécanismes de l’orientation afin de choisir la distance la plus courte dans une optique de minimiser les coûts énergétiques, les risques de prédation et de dessiccation. Plusieurs types de signaux sont sollicités par les amphibiens pour se déplacer dans le paysage : olfactifs, visuels, magnétiques et acoustiques. Plusieurs auteurs ont montré la phylopatrie de différentes espèces d’amphibiens au point d’eau de leur naissance.
L’ensemble de ces caractéristiques fait que les amphibiens vont être sensibles à la composition, à l’agencement du paysage et à la qualité de leur habitat de reproduction.
Globalement, l’intensification de l’agriculture est à l’origine d’une perte de diversité et d’un déclin général des espèces animales et végétales présentes dans ces paysages. La simplification des paysages tant a supprimer les espèces dépendant essentiellement ou partiellement des éléments semi-naturels ou d’une diversité de cultures. Plusieurs travaux montrent que l’intensification des bocages se traduit le plus souvent par un déclin des espèces animales rares ou spécialistes d’un habitat particulier.
La Gâtine, microrégion bocagère de l’ouest de la France n’a pas échappé à cette évolution des pratiques agricoles depuis cinquante ans. Cette étude intègre plusieurs approches. La première consiste à évaluer la distribution des biotopes de reproductions potentiels par une méthode de photo-interprétation écran de la BD Ortho® IGN et par des vérifications de terrain. Cette démarche nous permet par la suite de caractériser les différents usages des mares de Gâtine et de mieux comprendre les processus d’abandon et de destruction de ces milieux. La seconde approche traite des relations qu’entretiennent 10 espèces d’amphibiens avec 79 mares (structure et configuration du paysage environnant). Les variables paysagères ont été extraites sous Système d’Information Géographique en utilisant des disques concentriques adaptés aux capacités de locomotion des différentes espèces présentes dans la région considérée. Nous avons également intégré dans cette étude, des indices de stabilité paysagère en confrontant d’anciennes photographies aériennes de 1959 avec la BD Ortho® IGN de 2002.
Les principaux résultats montrent que les mares et les étangs restent largement distribués dans cette microrégion. Le taux de comblement des mares reste néanmoins supérieur au taux de création. Ce constat s’explique par une perte d’usage de ces milieux dans l’espace agricole. Nos résultats montrent que les différentes composantes du biotope de reproduction et du paysage environnant conditionnent des richesses spécifiques, des diversités, des probabilités de présence ainsi que des abondances relatives plus importante chez certaines espèces d’amphibiens. Cependant, les réponses aux variables varient d’une espèce à l’autre et en fonction de la taille des disques concentriques utilisés.
Cette étude nous permet de souligner l’importance d’intégrer le niveau paysage dans les études sur les amphibiens en vue d’une gestion conservatoire efficace des populations. Ce travail met également en évidence l’importance de conserver des habitats terrestres et aquatiques fonctionnels dans l’espace agricole pour plusieurs espèces d’amphibiens. Les distances de réponses moyennes observées pourront servir à orienter les futures opérations d’aménagements sur ce territoire.
Mots - clés : Paysage, Bocage, Biotope de reproduction, Mares, Amphibiens, Richesse spécifique, Diversité, Probabilité de présence, Abondance relative, Système d’Information Géographique, Model Linéaire Généralisé, Critère d’Information d’Akaike, Disques concentriques, Agriculture, Stratégie de conservation
Télécharger l’étude complète :
249 pages / 16.250 ko
Télécharger la présentation
42 diapositives / 35 Mo