Turdus philomelos
Classe des Oiseaux
Oiseaux des Passériformes
Famille des Turdidés (aussi Muscicapidés)
Par Denis Roux
La grive musicienne est un passereau de taille moyenne.
L’oiseau mesure 20 cm pour une envergure de 35 cm environ.
Le poids varie généralement de 65 à 75 g.
Son plumage, identique chez les deux sexes, est de couleur brun olive sur le dos, blanchâtre et taché de macules noirâtres sur le ventre et les flancs, identique chez les deux sexes. Les rémiges, brun-noir, sont roussâtres à leur base.
La distinction entre mâles et femelles est impossible. En revanche, la distinction est possible entre jeunes et adultes à partir de l’observation des plumes formant les grandes couvertures : taches apicales triangulaires de couleur chamois-jaunâtre sur les vexilles externes chez les jeunes et taches apicales arrondies ou totalement disparues sur les vexilles externes chez les adultes.
La grive musicienne a un aspect différent des autres grives. La seule confusion possible peut se produire qu’avec la grive mauvis qui est plus petite et qui possède des couvertures sous-alaires orangées.
Régime alimentaire
La grive musicienne se nourrit de baies et de petits invertébrés selon les saisons.
En automne et en hiver, en milieux méditerranéens, le régime alimentaire de l’oiseau est essentiellement végétal et se caractérise par la consommation de baies et de fruits tels que les baies d’aubépine (Crataegus monogyna), de cornouiller sanguin (Cornus sanguinea), de mûre (Rubus fruticosa), de houx (Ilex aquafolium), de lierre (Hedera helix), de genévrier commun (Juniperus communis), d’olives (Olea europaea) et de grains de raisin (Vitis vinifera).
En fin d’hiver, de janvier à mars, les adultes et larves de coléoptères, d’arthropodes, de lépidoptères, des gastéropodes ou encore de vers de terre sont également consommés au fur et à mesure de la disparition des baies.
Au printemps et en été, son régime alimentaire est presque totalement animal : insectes, araignées, vers et petits escargots qu’elle casse parfois sur un caillou qui lui sert d’enclume.
Rythme d’activité
En automne et en hiver, l’activité des oiseaux est très forte. Le matin, au lever du jour, on assiste à des déplacements d’oiseaux, allant des zones de dortoir aux zones d’alimentation. Ainsi, la matinée et une partie de l’après midi, sont consacrées à la recherche de nourriture et à l’alimentation. En fin de journée, les oiseaux regagnent les zones de dortoir. Ce rythme est typique en milieux méditerranéens.
Reproduction et survie
L’espèce est monogame mais les couples ne sont pas stables d’une année sur l’autre. L’âge de maturité sexuelle est de 1 an. La période de nidification se situe de mars à fin août. Le nid est installé dans un buisson ou dans un arbre, le plus souvent contre un tronc ou sur une fourche, à 2,50 m environ de hauteur, et le choix de l’emplacement est le fait de la femelle. Il est composé d’herbes, de brindilles ou de mousse, et l’intérieur est tapissé d’un « ciment » de boue, de bois en décomposition et parfois de feuilles.
En moyenne, la ponte comporte 4 à 6 oeufs, rarement plus. L’incubation (femelle) commence après la ponte du dernier oeuf et dure environ 12 à 14 jours. En règle générale, 2 à 3 couvées sont entreprises chaque année. L’envol des jeunes se fait en moyenne à l’âge de 13 à 14 jours.
Le taux de survie est estimé entre 35 et 46 % au cours de la première année. Pour les oiseaux de plus d’un an, il est compris entre 55 et 67 %. La prédation exercée sur les nids est très forte.
La production annuelle de jeunes par couple est estimée entre 1,9 et 2,2.
Ses exigences vis-à-vis de l’habitat sont peu marquées ; elle tolère un climat froid et humide mais évite cependant les extrêmes, les zones gelées ou enneigées de façon prolongée. Elle fait preuve d’une large amplitude d’habitat en s’implantant dans des biotopes aussi divers que les massifs forestiers (feuillus ou résineux), et ce, jusqu’à la limite supérieure de l’étage montagnard, les complexes bocagers ou bien les jardins et espaces verts des villes. Son habitat est très varié : arbres, buissons, haies qui lui offrent des postes de chant et la nourriture.
Reproduction
La grive musicienne niche dans une grande partie du continent eurasiatique, à l’exception des régions qui bordent directement la Méditerranée.
Bien que certaines populations soient sédentaires, celles du nord sont partiellement ou complètement migratrices. Certaines se déplacent jusqu’au nord de l’Afrique. Plus de 75 % des populations européennes sont reproductives et hivernantes. L’Allemagne et la Suède regroupent les trois quarts de la population nicheuse européenne.
En France, l’espèce est très commune, aussi bien en période d’hivernage que de reproduction, à l’exception de la Méditerranée et de la Corse où elle est absente en période de reproduction.
Migration
Les déplacements migratoires s’effectuent la nuit.
La migration postnuptiale débute en août dans les régions les plus septentrionales mais l’essentiel du passage est observé de fin septembre à fin octobre. Ainsi, les populations françaises voient grossir leurs rangs par l’affluence d’oiseaux originaires de Scandinavie et d’Europe Centrale, fuyant vers des contrées plus clémentes avec une préférence pour le littoral Manche-Atlantique et Méditerranéen où les rigueurs climatiques sont beaucoup plus atténuées. L’axe principal de migration est orienté nord-est/sud-ouest.
La migration de retour dite migration prénuptiale a lieu de fin février à mi-avril.
Les populations françaises sont partiellement migratrices, devenant de plus en plus sédentaires vers le sud-ouest du pays.
Hivernage
La période d’hivernage, définie par une relative stabilité des populations, s’étend de décembre à la mi-février. L’aire d’hivernage est relativement restreinte par rapport à l’aire de répartition.
Chaque population occupe une zone d’hivernage à laquelle elle est fidèle.
Les vagues de froid modifient la répartition spatiale de l’espèce.
Directive du Conseil du 02 avril 1979 concernant la conservation des oiseaux sauvages (79/409/CEE) autorisant la chasse de ces espèces (annexe II).
Convention de Bern du 19 septembre 1979 relative à la conservation de la vie sauvage et du milieu naturel en Europe (annexe II : espèce de faune dont l’exploitation, sous quelque forme que ce soit, est réglementée).
Au niveau de l’Etat français, un arrêté du 26 juin 1987 modifié fixe la liste des espèces de gibier dont la chasse est autorisée. Dans cet arrêté, les grives et le Merle noir, classés dans la catégorie des “ oiseaux de passage ”, peuvent être chassés sur tout le territoire.
Toujours au niveau de l’Etat français, deux arrêtés du 18 juillet 2002 fixent les dates d’ouverture et de fermeture de la chasse de ces espèces dites « oiseaux de passage », avec des conditions spécifiques de chasse à partir du 1er février.
Le mode de chasse couramment utilisé est la chasse devant soi. Dans le Sud, notamment en Méditerranée, quatre modes de chasse sont pratiqués :
la passée du matin et du soir : le chasseur, placé dans un affût découvert, guette le passage des oiseaux entre les zones de dortoir, généralement situées en montagne, et les zones de gagnage (cultures en plaine),
le cul levé : il s’agit d’une chasse devant soi, où le chasseur recherche l’oiseau sur les zones de gagnage,
le poste : le chasseur, placé dans un affût entièrement fermé, guette la pose de l’oiseau sur un arbre aménagé, après l’avoir attiré par le chant d’oiseaux vivant en captivité, placés à proximité des lieux (appelants),
les gluaux : il s’agit de la capture des grives aux gluaux à partir d’une installation fixe (arbres aménagés et cabane). Les oiseaux ainsi capturés sont destinés à servir d’appelants pour la chasse de la grive au poste (ou à la cabane),
La pratique de la passée est assez récente (environ une trentaine d’années), alors que la chasse au poste (ou à la cabane) et la capture des grives aux gluaux sont des modes de chasse très anciens et sont considérés comme des “ chasses traditionnelles ”.
La commercialisation est interdite (arrêté ministériel du 20/12/83) et la chasse est fermée en temps de neige (pas dans tous les départements). La capture des oiseaux aux gluaux est réglementée par l’arrêté ministériel du 17 août 1989 relatif à l’emploi des gluaux dans les Alpes de Haute-Provence, les Alpes-Maritimes, les Bouches-du-Rhône, le Var et le Vaucluse, qui fixe les conditions techniques de ce mode de chasse. En outre, l’emploi des gluaux est soumis à une autorisation annuelle délivrée par le Préfet aux détenteurs du droit de chasse sur le territoire dans lequel ils sont installés.
Tendance des effectifs
La tendance démographique de la grive musicienne sur la période 1970-1990 semble stable dans les pays supportant les plus importantes populations européennes, à l’exception de la Grande-Bretagne où un rapide déclin de l’ordre de 5 à 10 % des effectifs européens a été enregistré, et de la France, avec des populations fluctuantes (estimation de 400 000 à 2 000 000 couples).
En Europe, 37 pays accueillent des effectifs reproducteurs. Les effectifs reproducteurs sont estimés entre 11 et 24 millions de couples. La population de l’ex-URSS se situerait entre 100 000 et 1 million de couples et celle de la Turquie entre 10 000 et 100 000 couples.
Les populations d’Andorre, de l’Irlande et des Pays-Bas ont montré quant à elles les signes d’une lente diminution de leurs effectifs nicheurs sur la période considérée.
En France, les effectifs reproducteurs ont été estimés en 1990 entre 400 000 et 2 millions de couples.
L’indice d’abondance des populations nicheuses en France présente depuis 1994 une progression.
Statut de conservation
L’espèce est considérée comme ayant un statut de conservation favorable en Europe ; elle est classée en catégorie quatre : « espèce dont les populations sont globalement concentrées en Europe et ayant un état de conservation favorable en Europe ».
Menaces
La chasse : l’enquête nationale réalisée en 1998-1999 sur les tableaux de chasse à tir fait apparaître un prélèvement total de 4 537 960 grives (± 1,8 %), toutes espèces confondues. Ainsi, les grives arrivent au troisième rang en terme de prélèvement parmi les 39 espèces de l’enquête.
Les conditions météorologiques : elles sont un facteur très déterminant pour la migration et la répartition des espèces migratrices. En effet, la migration peut être interrompue ou modifiée selon les conditions météorologiques et atmosphériques rencontrées. Les zones d’hivernage peuvent évoluer en fonction des rigueurs climatiques.
Les modifications et la diminution de la couverture des habitats : une modification des habitats par diminution de la couverture forestière, des haies, de la garrigue, du maquis et de la diversification des espaces engendre une diminution des potentialités alimentaires et des abris efficaces. Même si, sur l’ensemble du territoire national, on note une augmentation de la surface boisée, celle-ci se fait au détriment de zones de cultures, de landes et de friches, milieux présentant des ressources alimentaires importantes. Il faut ajouter une exploitation moindre, surtout en milieux méditerranéens, entraînant une homogénéisation du milieu et un appauvrissement des ressources alimentaires.
L’influence de la chasse : elle peut avoir un effet non négligeable sur les paramètres démographiques des populations. Il est important de rappeler que chaque population de Grive musicienne est fidèle à ses aires d’hivernage.
Propositions relatives au biotope et au dérangement
Il est important que nos paysages forestiers, de garrigue, de maquis et agricoles soient les plus diversifiés possible pour cette espèce. Ainsi, un bon habitat d’hivernage pour la grive musicienne nécessite de réunir à la fois des potentialités alimentaires importantes et un abri efficace. Tout ce qui peut rompre la monotonie de l’habitat forestier est favorable. La nourriture étant essentiellement constituée de la fraction végétale, tout ce qui peut favoriser la production de baies peut qu’accroître la capacité d’accueil d’un milieu. Une forêt diversifiée en peuplements forestiers est forcément un milieu riche en alimentation fruitière. Les coupes de bois créent des ouvertures dans le milieu qui favorisent la régénération de buissons et d’arbustes à baies intéressants pour les oiseaux, mieux qu’une forêt plus ancienne. Les interfaces entre la forêt et les secteurs agricoles sont également des zones favorables pour ces espèces car autrefois, beaucoup utilisées par le pâturage, elles sont aujourd’hui occupées par des zones de buissons et de forêt d’arbustes et d’espaces ouverts, riches en potentiels alimentaires et donc attrayantes pour les oiseaux. Maintenir les haies, les bosquets, favoriser leur plantation avec des essences intéressantes pour l’espèce, proposer des zones de reboisement à partir d’essences à production de baies consommées par ces oiseaux durant toute la période hivernale, sont autant d’aménagements à préconiser (ex. : l’Aubépine monogyne dont les baies sont présentes tout l’hiver ; le Lierre est vital en fin d’hiver).
Cet oiseau étant fortement chassé, créer des espaces en réserve pour assurer sa tranquillité pendant la recherche de nourriture mais également sur des zones de dortoir, nous parait être une bonne mesure de gestion pour cette espèce. Leur superficie doit être suffisante pour favoriser la quiétude des oiseaux et pour qu’ils puissent hiverner en toute tranquillité.
Proposition relative à la chasse
Pour limiter les tableaux de chasse, un prélèvement maximal autorisé par chasseur et par jour peut être préconisé avec la tenue d’un carnet de chasse.
de poursuivre le suivi des populations nicheuses réalisé en France dans le cadre du réseau national « oiseaux de passage » et de rajouter des covariables tel que le type d’habitat dans le souci d’une gestion adaptée ;
de poursuivre et affiner le suivi des oiseaux hivernants (comptage « flash ») également réalisé en France dans le cadre du réseau national « oiseaux de passage » ;
de mettre en place sur des périodes triennales ou quinquennales, des enquêtes régionales sur les tableaux de chasse à tir par échantillonnage à partir des carnets de chasse pour détecter rapidement les tendances à la baisse (répartition quantitative et chronologie des prélèvements), pour expliquer l’origine de ces diminutions, et déterminer l’influence des prélèvements (âge ratio) de chaque mode de chasse ;
d’engager des études sur l’habitat d’hivernage de cette espèce. En effet, la fragmentation de l’habitat ainsi que la structure et la dynamique de la végétation constituent des facteurs importants pour l’accueil de cette espèce en période d’hivernage. Cette étude des populations doit permettre de dégager plus précisément la part de la modification des biotopes et de pouvoir ainsi proposer des mesures de gestion de l’habitat dans le cadre de programmes d’aménagement et de gestion de l’espace rural (contrats d’agriculture durable, plans d’action multi-usages, …) ;
d’évaluer l’impact des dérangements par la chasse, notamment certains modes de chasse tels que la passée du soir qui se pratique en milieu méditerranéen afin de pouvoir préconiser des mesures adéquates ;
de mettre en place un suivi sur des stations pilotes pour mieux cerner l’abondance de cette espèce en migration et en hivernage en France ;
de mettre en place un programme national sur le baguage pour préciser l’origine géographique des oiseaux hivernants et pour calculer à terme les taux de survie annuelle. La dispersion des oiseaux, la durée de stationnement et la fidélité des oiseaux aux sites de nidification et d’hivernage peuvent être également appréhendées ;
de mettre en place un suivi de l’abondance de cette espèce en migration et en hivernage en France ;
de mettre en place une collecte d’ailes sur des territoires échantillons chassés pour permettre d’obtenir des données sur l’âge ratio, la répartition quantitative et chronologique des prélèvements, mais également obtenir des renseignements sur le sexe-ratio des individus hivernants (sexage moléculaire) et l’origine géographique (méthode des isotopes).
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